15 octobre 2019
Une lettre ouverte qui rappelle l’histoire de notre lutte pour le réseau des services de garde éducatifs à l’enfance. Les RSG affiliées à la CSN sont au rendez-vous pour veiller au développement de nos enfants!Photo: iStock En 1997, la nouvelle politique familiale du Québec annonce la création des centres de la petite enfance (CPE), un réseau de garderies à cinq dollars par jour.
Marc-André Cyr/ Le Devoir
Pour le Québec des années 1960, revendiquer des garderies, c’est remettre en cause l’unité de base de la nation : la famille. Le rapport Parent, considéré comme une pierre importante à l’édifice de la modernisation de l’éducation au Québec, affirme en 1964 : « L’éducation familiale et ménagère doit faire partie de la formation des jeunes filles et les habituer à trouver un certain agrément esthétique et humain aux travaux de la maison. » Faire garder les enfants à l’extérieur du foyer menace surtout de briser le monopole des hommes sur le travail salarié, ce qui n’est pas sans bousculer certains messieurs, même les plus progressistes d’entre eux.
En cette époque de Révolution tranquille, si le Québec se transforme à grande vitesse, les femmes doivent toutefois faire preuve de patience… En 1969, la province compte moins de 80 garderies privées soutenues à bout de bras par des employées sous-payées.
Mais la pression démographique s’accentue, et les femmes travaillent davantage : en 1971, plus de 80 000 ménages québécois ont un enfant à faire garder. Les commissions d’enquête fédérale et provinciale de 1970 et 1971 concluent à la nécessité de créer un réseau public de garderies, mais c’est du côté des milieux populaires que viendront finalement les solutions concrètes. Dans la mouvance de l’expansion du féminisme, plus de 70 établissements sans but lucratif sont créés en deux ans.
Alors, quand le ministère fédéral de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration — qui subventionnait les garderies davantage pour l’emploi qu’elles créaient que pour le soutien aux familles qu’elles apportaient — retire finalement ses billes en 1973, la riposte s’organise. De nombreuses pétitions, manifestations et occupations de ministères appuient la revendication d’un réseau de garde permanent, gratuit et cogéré par les travailleuses et les parents.
Ces réclamations vont trouver des échos relativement favorables auprès des gouvernements de cette décennie au Québec. En 1974, de nouvelles subventions au démarrage et aux parents sont accordées ; en 1978, un regroupement de garderies sans but lucratif voit le jour ; en 1979, la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, qui privilégie les coops et les entreprises à but non lucratif, est adoptée ; et en 1980, la profession d’éducatrice à l’enfance est partiellement reconnue.
Mais le retour du conservatisme économique, dans les années 1980, réduit presque à néant ces progrès, et il faudra attendre le milieu des années 1990 pour que le gouvernement du Parti québécois, décidé à relancer l’économie, tente à nouveau de favoriser la conciliation travail-famille. En 1997, la nouvelle politique familiale du Québec annonce la création des centres de la petite enfance (CPE), un réseau de garderies à cinq dollars par jour. Plus que de simples services de gardiennage, ils sont pensés comme de véritables lieux d’éducation, au point de servir de modèles à plusieurs pays. Ce succès n’émeut pas pour autant les amis du marché libre. Entre 2003 et 2015, les différents gouvernements au pouvoir font feu sur les CPE : suppression de centaines de postes, augmentation des coûts d’inscription (de 8 à 21 dollars par jour en 2015 seulement), crédits d’impôt pour favoriser le privé et réduction de 20 % du budget entre 2005 et 2015. En 2004, Québec va même jusqu’à retirer aux éducatrices le droit de se syndiquer (il leur sera remis à la suite d’une plainte devant les tribunaux et le Bureau international du travail).
A contrario, cette période est également celle des grandes mobilisations. Pétitions, grèves, manifestations et blocages sont de retour. Le 9 novembre 2014, plus de 50 000 personnes se rassemblent dans une douzaine d’endroits pour défendre leurs acquis ; le 1er mai 2015, les travailleuses paralysent le Centre de commerce mondial de Montréal et plusieurs banques pour protester contre le projet du gouvernement visant à les écarter des processus décisionnels, à nier leur ancienneté et à précariser leurs horaires ; ce même printemps, les CPE de Montréal et de Laval entrent en grève générale illimitée. Au bout de huit jours, ils obtiennent un recul du pouvoir sur l’ensemble des points. L’année suivante, toujours dans le but de revendiquer un réinvestissement dans les services de garde, 271 chaînes humaines se forment autour des CPE, et une pétition de 202 000 noms est déposée à l’Assemblée nationale.
Ces manifestations sont surtout la preuve que la nécessité d’un service de garde assumé par la collectivité doit sans cesse être défendue. L’élection de François Legault, qui affichait en juin dernier son mépris envers les éducatrices des CPE — elles ne seraient que des « techniciennes de garde » dont le travail serait incomparable à celui des « spécialistes » présents dans les écoles — le confirme une fois de plus.
En matière de droit des femmes, les victoires ne sont jamais définitives. Car quand on parle de garder les enfants, c’est toujours de l’autonomie de leur mère qu’il s’agit. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question, rappelait Simone de Beauvoir . Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »