30 septembre 2019
Photo: iStock/ Sept enfants sur dix en maternelle 4 ans pour l’année scolaire 2019-2020 recevaient déjà des services éducatifs avant d’entrer au préscolaire.
Marco Fortier / le devoir
La vaste majorité des enfants qui fréquentent la maternelle 4 ans proviennent de services de garde, révèlent des données préliminaires obtenues par Le Devoir. Ces chiffres contredisent la volonté du gouvernement Legault d’offrir des services éducatifs aux enfants de 4 ans qui ne sont dans aucun réseau scolaire ou de garde.
Trois enfants sur dix (30 %) inscrits à la maternelle 4 ans ont le profil recherché par le gouvernement : ils étaient auparavant gardés à la maison, chez des membres de leur famille ou par d’autres services non régis par l’État. Ce sont les enfants qu’on appelle « hors réseau », qui ne recevaient aucun service spécialisé en petite enfance.
La nette majorité des enfants en maternelle 4 ans (70 %) pour l’année scolaire 2019-2020 recevaient déjà des services éducatifs avant d’entrer au préscolaire. Ils proviennent de centres de la petite enfance (CPE), de garderies privées subventionnées ou de services de garde en milieu familial reconnus par le gouvernement.
Ces données ont été dévoilées en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics. Il s’agit de données préliminaires, établies d’après un échantillon regroupant 29 des 72 commissions scolaires, dans toutes les régions du Québec. Ces chiffres représentent près de la moitié (45 %) des enfants qui ont une place en maternelle 4 ans (3177 élèves sur 7080).
70 % C’est la proportion d’enfants en maternelle 4 ans qui étaient déjà dans le réseau.
Un échantillon d’une telle ampleur révèle sans aucun doute une tendance de fond, estime la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ), qui a obtenu ces données auprès des commissions scolaires. « La maternelle 4 ans ne rejoint pas les enfants qui n’étaient nulle part, comme le voulait le gouvernement, mais plutôt une majorité d’enfants qui étaient en service de garde », dit Valérie Grenon, présidente de la FIPEQ.
Elle est convaincue que le gouvernement Legault « rate la cible » en offrant la maternelle à tous les enfants de 4 ans. « Le gouvernement a toujours dit qu’il développerait les maternelles 4 ans en complémentarité avec notre réseau, mais on n’en voit plus, de complémentarité. Vraiment, ils ont perdu le contrôle », dit la présidente du syndicat qui représente 12 500 éducatrices en milieu familial et en installation.
Promesse électorale
La provenance des enfants inscrits en maternelle 4 ans était le secret le mieux gardé en ville. Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, a reconnu au mois d’août qu’il ignorait d’où viennent les élèves de maternelle 4 ans.
Un des objectifs du programme est pourtant d’offrir des services éducatifs aux enfants qui tombent entre les mailles du filet, parce qu’ils n’ont jamais fréquenté un CPE ou un autre service de garde reconnu par l’État. C’est pourquoi le ministre Roberge a demandé à toutes les commissions scolaires de sonder les parents d’élèves de maternelle 4 ans pour savoir où étaient leurs enfants avant d’entrer au préscolaire. Ce sont ces données que la FIPEQ a obtenues par la Loi sur l’accès à l’information.
La présidente de la FIPEQ n’est pas étonnée que les maternelles recrutent dans les garderies, parce que le gouvernement a fait des campagnes de promotion de la maternelle 4 ans dans les réseaux sociaux et a contacté les parents d’enfants qui étaient en CPE.
« Le premier ministre a la lubie de remplir une promesse électorale, il veut la cocher dans son calepin, mais on ne tiendra pas rigueur à M. Legault s’il revient sur sa promesse », dit Valérie Grenon.
Deux réseaux forts
Loin de reculer, le gouvernement compte faire adopter cet automne le projet de loi 5, instaurant les maternelles 4 ans pour tous — et non plus seulement dans les milieux défavorisés, comme c’est le cas jusqu’à maintenant. Avec la création cette année de 250 nouvelles classes, ce sont 644 classes de maternelle 4 ans qui sont offertes en milieu défavorisé.
Le ministre Roberge a décliné notre demande d’entrevue, dimanche, à ce sujet. Il attend d’avoir le portrait complet, dans toutes les commissions scolaires, avant de commenter. En entrevue avec Le Devoir le 5 septembre, il avait toutefois assuré que le gouvernement tient à garder les deux réseaux (maternelle 4 ans et services de garde) forts et complémentaires.
« Je ne suis vraiment pas inquiet pour les CPE, a-t-il dit. On a annoncé 10 000 ou 12 000 nouvelles places en CPE. Si on pensait que les CPE allaient se vider, on n’en bâtirait pas de nouveaux. On est convaincus que les places qu’on va ouvrir en CPE vont se remplir rapidement : il y a plus de 40 000 parents sur des listes d’attente pour une place en CPE. C’est un bon réseau qui sert bien les gens, et on va le développer. »
La CAQ s’est engagée à mettre fin à la modulation des tarifs de garde en fonction du revenu des familles, instaurée par les libéraux, rappelle Jean-François Roberge. Le retour du tarif unique redonnera de la « compétitivité » aux CPE, selon lui.
Impact dans les CPE
D’ici là, les maternelles 4 ans vont chercher la majorité de leurs élèves dans les services de garde. Des commissions scolaires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la Côte-Nord, de la Gaspésie, de la Montérégie, du Centre-du-Québec, de l’Outaouais et de Québec y recrutent une nette majorité de leurs élèves de maternelle 4 ans. En Estrie et en Abitibi-Témiscamingue, le taux de réponse des parents a été moins élevé, mais la tendance indique aussi un recrutement des enfants dans les services de garde.
Dans l’île de Montréal, seules les données de la CSDM ont été rendues publiques à ce jour : moins d’un enfant sur trois (28 %) en maternelle 4 ans n’avait aucun service éducatif avant d’entrer au préscolaire 4 ans.
Dans les services de garde, on confirme que l’augmentation de l’offre en maternelle 4 ans a commencé à se faire sentir. Un sondage interne mené par le Regroupement des CPE de la Montérégie indique que 3,5 % des enfants de 4 ans de la région qui avaient une place dans un CPE ont fait le saut en maternelle à temps plein.
« Cette année, ça n’a pas été l’hécatombe, mais on est très préoccupés pour l’avenir », dit Claudette Pitre-Robin, directrice générale de l’organisme qui rassemble 110 centres de la petite enfance de la Montérégie.
« La raison principale invoquée par la grande majorité des parents [pour envoyer leurs enfants en maternelle 4 ans] est d’alléger la gestion du quotidien. Il est plus facile pour eux d’aller à un seul endroit matin et soir quand ils ont plusieurs enfants », précise la responsable des CPE de la Montérégie.