14 février 2019
Le premier ministre du Québec, François Legault, et son ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, ont répondu aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse donnée dans une école primaire de Québec en après-midi. Photo: Radio-Canada
Le projet de loi visant à offrir la maternelle à tous les enfants de 4 ans a été déposé jeudi à l’Assemblée nationale par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Cet engagement phare de la Coalition avenir Québec (CAQ) aura cependant un coût plus élevé que ce qui avait été promis en campagne électorale.
Il prévoit de modifier la Loi sur l’instruction publique afin que toutes les écoles, publiques ou privées, puissent offrir le service dès l’année 2020-2021, « sans égard au milieu économique » où vivent les enfants. À l’heure actuelle, seules les écoles où l’indice de défavorisation se situe entre 8 et 10, sur une échelle de 10, ont accès à de telles classes.
Le projet de loi ne spécifie toutefois pas à quel moment ces classes devront obligatoirement être offertes; on y indique seulement que cela sera mis en œuvre « à compter de l’année scolaire que le gouvernement déterminera ».
En conférence de presse, le premier ministre François Legault a toutefois assuré que tous les enfants auront une place dès la rentrée 2023, peu importe le défi que cela représente en matière de ressources humaines et matérielles.
Notre objectif est très clair : d’ici cinq ans, je veux que tous les parents au Québec qui ont un enfant de 4 ans aient la chance de l’envoyer dans une maternelle 4 ans.
François Legault, premier ministre du Québec
400 à 700 millions par année
Présent à ses côtés pour l’annonce, le ministre Roberge a estimé que l’implantation de ces classes coûtera à terme « de 400 à 700 millions de dollars » par année au Trésor public, sans compter les coûts de construction. L’écart s’explique par le fait qu’il est difficile de prédire combien de parents voudront se prévaloir de cette option.
Les parents ne seront pas obligés d’envoyer leurs enfants dans ces maternelles. Le réseau de garderies continuera d’accueillir des enfants de 4 ans, et les parents pourront aussi garder leurs enfants à la maison.
Dans le cadre financier déposé durant la campagne électorale, la CAQ prévoyait que l’implantation de la prématernelle 4 ans coûterait à terme 249 millions de dollars par année. En incluant des ressources pour le dépistage précoce des troubles d’apprentissage et le soutien pour les parents d’enfants lourdement handicapés, les coûts projetés passaient à 311 millions par année.
Lors d’une conférence téléphonique avec les présidents des commissions scolaires mercredi, le ministre Roberge aurait précisé que les écoles dont l’indice est de 6 ou 7 pourront recevoir des maternelles 4 ans en septembre.
Il aurait aussi indiqué aux commissions scolaires que le nombre de nouvelles classes de maternelle 4 ans et leurs conditions de mise en œuvre seront dévoilés d’ici le mois de mars. Les fonds à cette fin seraient dévoilés lors de l’étude des crédits budgétaires début mai.
- Roberge aurait également exigé des commissions scolaires l’ajout de classes de maternelles 4 ans aux demandes d’agrandissement d’écoles. L’argent ne serait pas un problème, indique-t-on.
« Pour le bien des enfants », dit Legault
Québec amorce ce projet dès maintenant « pour le bien des enfants », a commenté le premier ministre François Legault avant le début de la période de questions à l’Assemblée nationale. « C’est important de donner des services le plus rapidement possible. »
- Legault a précisé sa pensée lors de la période de questions, en répondant aux critiques du Parti québécois, qui dénonce un projet « ni souhaité, ni souhaitable, ni réalisable » et qui préférerait que le gouvernement développe plutôt le réseau des centres de la petite enfance (CPE).
Il y a des enfants qui ont des difficultés, qui ont besoin d’un enseignant, d’un orthophoniste, d’un psychologue, qui ont besoin de l’aide qu’on peut retrouver dans une école primaire. Dans certains cas, ça sera possible de donner ces services dans les CPE, mais […] en moyenne, un CPE, c’est plus petit qu’une école primaire. Donc, offrons les deux.
François Legault, premier ministre du Québec
« On va mettre en place un dossier pour chaque enfant, ce qui aurait dû exister depuis longtemps. Ce dossier-là va pouvoir être transféré d’une garderie à la maternelle 4 ans », a poursuivi M. Legault. « Mais c’est important pour chaque enfant, puis il y en a 27 % qui ont des difficultés [d’apprentissage], d’offrir ce qu’il y a de mieux, puis d’offrir le choix aux parents. »
En conférence de presse, M. Legault a d’ailleurs déclaré que l’implantation de maternelles 4 ans partout au Québec constitue la deuxième étape d’un plan visant à mieux dépister ces difficultés d’apprentissage, après l’ajout de ressources annoncé il y a deux semaines.
Répondant à des questions du Parti libéral, le ministre Roberge a pour sa part défendu l’idée d’étendre les maternelles 4 ans à tous les enfants, indépendamment du milieu dont ils sont issus.
« On va l’offrir à tous, parce que les enfants, ce n’est pas des codes postaux, parce qu’un trouble du spectre de l’autisme, ça n’a rien à voir avec le fait que nos parents sont au salaire minimum ou font 150 000 $. Mais les deux vieux partis, eux, pensaient qu’il fallait déployer les prématernelles 4 ans seulement si les parents étaient pauvres », a-t-il dit.
Mais il y a des enfants autistes dont les parents sont riches, il y a des enfants dysphasiques dont les parents sont riches, puis nous, on ne les abandonnera pas, ces enfants-là.
Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation du Québec
Un sondage secret
En décembre, le ministère de l’Éducation a sondé les commissions scolaires pour connaître le nombre de classes de prématernelle nécessaires ainsi que le nombre de salles de classe disponibles dans leurs écoles.
Une demande d’accès à l’information visant à connaître les résultats de ce sondage s’est heurtée à plusieurs articles de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Certains documents font partie « d’un processus décisionnel en cours », nous a-t-on répondu.
Le cabinet du ministre refuse pour sa part de les transmettre, puisqu’il s’agit d’un « outil servant à optimiser le scénario de déploiement des maternelles 4 ans pour l’année 2019-2020 ».
Interrogé à ce sujet en conférence de presse, le ministre Roberge a indiqué que les résultats sont présentement colligés, mais que « ça regarde bien ». Le nombre de classes qui ouvriront en 2019 sera bientôt annoncé, a-t-il dit.
Rappelons que de nombreuses commissions scolaires, principalement dans la grande région de Montréal, ont fait publiquement savoir que les écoles de leur territoire ne pourront pas accueillir de nouvelles classes, ou très peu.
Le premier ministre François Legault a assuré que tous les enfants auront une place dès la rentrée 2023. Photo : iStock
Les libéraux s’interrogent sur le respect des règles d’octroi de contrat
La porte-parole libérale en matière d’éducation, Marwah Rizqy, a accusé le gouvernement Legault de faire preuve d’« aveuglement idéologique » en voulant mettre son projet sur pied à toute vitesse. Selon elle, le gouvernement devrait continuer de se concentrer sur le développement des maternelles 4 ans en milieu défavorisé.
L’empressement actuel du gouvernement ne cherche qu’à « répondre à une seule question : est-ce qu’on sauve le siège du premier ministre, oui ou non? », a-t-elle dit, en référence à des propos du premier ministre Legault, qui a dit être prêt à mettre son siège en jeu sur cette question lors de la campagne électorale.
Elle s’est aussi demandé si le ministre Roberge était prêt à faire fi de Loi sur les contrats publics en demandant aux commissions scolaires d’ajouter des classes dans le cadre de projets d’agrandissement qui ont déjà été autorisés, mais qui n’ont pas encore été entrepris.
« Lorsqu’on agrandit une école, on ne peut pas juste [dire] : « Ajoutez-moi un étage et ça va fonctionner ». Ça va prendre un nouveau permis. Les contrats d’agrandissement ou d’amélioration qui sont déjà donnés ont eu des permis, et ces permis, il faut les respecter », a-t-elle soutenu, en disant se préoccuper particulièrement de la situation sur l’île de Montréal.
« C’est vrai qu’à Montréal en ce moment, c’est difficile, il y a un enjeu de manque de locaux, et on ne pourra pas déployer les prématernelles 4 ans en premier à Montréal », lui a répondu à ce sujet le ministre Roberge lors de la période de questions.
Le ministre Roberge a par ailleurs assuré que son gouvernement va respecter la Loi sur les contrats publics, après avoir accusé les libéraux d’avoir eux-mêmes créé une « crise » en refusant des projets d’agrandissement d’écoles dans la région métropolitaine.
Un projet « ni souhaité, ni souhaitable, ni réalisable », dit le PQ
La députée péquiste Véronique Hivon a aussi vivement critiqué l’approche du gouvernement, qui s’entête selon elle à « foncer tête baissée dans un projet qui n’est ni souhaité, ni souhaitable, ni réalisable [et] qui ne pourra pas voir le jour dans l’état actuel des choses ».
« C’est un projet qui n’est ni souhaité par les parents et le milieu ni souhaitable pour nos enfants, parce qu’il faut commencer bien avant 4 ans le dépistage [des problèmes d’apprentissage] et l’accompagnement, et ce n’est ni réalisable ni réaliste pour le milieu d’accueillir jusqu’à 5000 nouvelles classes, qui est le projet de la CAQ. Ce n’est ni réaliste en termes de ressources humaines ni réaliste en termes de ressources matérielles », a-t-elle dit.
« Des fois, il faut savoir ne pas s’entêter, ne pas poursuivre une obsession que seul le gouvernement semble poursuivre et battre en retraite », a laissé tomber la porte-parole du Parti québécois en matière d’éducation.
Pourquoi cet entêtement, cette obsession de la CAQ pour ce projet, alors qu’on a un réseau qui est en place, et qui ne demande qu’à être mieux accompagné, mieux développé? C’est le réseau des CPE.
Véronique Hivon, porte-parole du Parti québécois en matière d’éducation
Selon la députée Hivon, les écoles n’ont tout simplement pas la capacité d’accueil nécessaire pour contenir les 5000 classes nécessaires et il ne s’agit pas là d’une priorité.
« Quand tu n’as pas de place pour accueillir des enfants de 2e, 3e, 4e année, quand les inscriptions augmentent, quand tu n’as pas de place pour un gymnase, quand les enfants dînent dans les classes, c’est sûr que ta priorité n’est pas de créer un tout nouveau réseau, alors que les besoins ne sont pas là, que la demande n’est pas là, et qu’on est capable de travailler avec ce qu’on a déjà. »
La CAQ ne cherche qu’à remplir une promesse électorale, dit QS
La porte-parole de Québec solidaire (QS) en matière d’éducation, Christine Labrie, abonde dans le sens de ses collègues. Elle soutient que le gouvernement Legault ne cherche qu’à « cocher une promesse électorale » plutôt qu’à favoriser la réussite éducative des enfants.
« Le milieu de l’éducation n’en veut pas, le milieu de la petite enfance n’en veut pas. Les parents ont d’autres priorités également pour leurs enfants. Ils savent que c’est le CPE le meilleur endroit pour leur enfant de 4 ans », a-t-elle fait valoir.
Un sondage Léger réalisé pour le compte de l’Association québécoise des centres de la petite enfance publié au début de la semaine concluait que près d’un parent sur deux préfère un CPE pour leur enfant de 4 ans, contre un peu moins d’un sur cinq qui préfère la maternelle.
Cette position a aussi été relayée par Lise Camerlain, première vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente des dizaines de milliers de travailleurs dans les écoles.
Le modèle des CPE, « il est bon, il a fait ses preuves, et tout ce qu’on a à faire, c’est de [le] consolider », a-t-elle fait valoir. Selon elle, Québec devrait continuer d’implanter des maternelles pour les enfants de 4 ans dans les seuls milieux défavorisés.
Le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), Alain Fortier, a réagi prudemment, en se contentant d’annoncer par voie de communiqué que son organisme va « participer activement » aux consultations qui auront lieu à ce sujet.
« Ce projet […] impose au réseau scolaire des défis, notamment en matière de besoin d’espace, de main-d’œuvre et de transport scolaire. La FCSQ jouera son rôle de représentant de l’ensemble des réalités locales afin d’obtenir un déploiement respectueux des situations de chacun des milieux », affirme-t-il.
« Si le gouvernement souhaite le succès de cette opération, il devra travailler en collaboration avec les élus scolaires, donner le temps nécessaire et les moyens d’y arriver, pour le meilleur service aux élèves », a ajouté M. Fortier.
Avec la collaboration de Thomas Gerbet et de Mathieu Dion