David peut-il encore battre Goliath? Voici comment un ex-conseiller en relations de travail devenu avocat à 40 ans a réussi à faire reculer le gouvernement du Québec!

Les bonnes nouvelles nous tombent parfois dessus lorsqu’on s’y attend le moins. C’est arrivé à l’avocat Mario Evangéliste, 54 ans.

Il y a une dizaine de jours, alors qu’il faisait ses emplettes par un beau dimanche après-midi, il a reçu un appel sur son cellulaire qui allait le rendre de bonne humeur pour le reste de la journée. Au bout du sans-fil, la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. «Mario, c’est fini, Québec n’ira pas en appel», lui mentionne alors la syndicaliste.

En raccrochant, Mario Evangéliste lâche un grand soupir de soulagement. Non pas qu’il craignait devoir se battre en Cour d’appel, mais en abandonnant la partie, le gouvernement du Québec mettait fin à un feuilleton judiciaire amorcé en décembre 2003, lorsque les libéraux de Jean Charest avaient adopté les lois 7 et 8, qui retiraient le droit de syndicalisation aux responsables des services de garde en milieu familial.

Rappelons-le, le 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier, de la Cour supérieure, a accueilli la requête en jugement déclaratoire des représentants syndicaux, et invalidé ces lois, les jugeant inconstitutionnelles parce qu’elles contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés.

«C’est une belle victoire pour le droit des femmes», dit Mario Evangéliste, alors qu’il reçoit La Presse dans une salle de conférence. Nous sommes au 5e étage de l’immeuble du siège social de la CSN, à Montréal, dans les bureaux de Pepin et Roy, le nom officiel du contentieux de la centrale syndical. Ici, pas de planchers marbrés ni de sofas en cuir italien comme dans les grands bureaux. Ici, les avocats servent eux-mêmes le café.

«Avec ou sans sucre?» demande l’avocat en tendant une tasse.

Une vingtaine de juristes bossent dans ce cabinet syndical -quelques-uns au bureau de Québec. Leur mission? Défendre les syndicats, fédérations et organismes de la CSN contre d’éventuelles poursuites ou entamer des poursuites en leur nom. Ils touchent à tout sauf au droit criminel: droit civil, administratif, international, etc. Tous sont des pros en droit du travail et de l’emploi, mais chacun possède en plus une spécialité propre. Mario Evangéliste, lui, fait aussi dans le droit international, la responsabilité civile et contractuelle, de même que dans les régimes de retraite.

Depuis cinq ans, il consacre le gros de son temps à cette cause contre le gouvernement du Québec qu’il décrit comme le plus grand défi professionnel de sa jeune carrière d’avocat, carrière entreprise à l’âge de 40 ans, après 12 ans passés comme conseiller en relations de travail. C’est donc lui, avec l’aide de quelques collègues du bureau, qui a piloté ce dossier de A à Z.

Un dossier de principe

Lorsque Mario Evangéliste entre en scène en octobre 2003, les lois 7 et 8 n’étaient pas encore adoptées et l’idée de départ était de convaincre Québec d’y renoncer. «On savait qu’il s’agissait d’un dossier de discrimination faite aux femmes, pas seulement une question de liberté d’association, explique-t-il. On croyait donc pouvoir convaincre le gouvernement de reculer.» Peine perdue.

Devant ce refus, Mario Evangéliste met alors en branle le deuxième volet de son plan de match: contester ces lois à la fois devant les tribunaux du Québec et devant les instances internationales, en l’occurrence le Bureau international du travail (BIT). Avec une idée en tête: faire vite. Il passe donc ses «vacances» de Noël 2003 à rédiger la plainte au BIT, et à préparer la requête devant la Cour supérieure, requête déposée d’ailleurs au début de janvier 2004.

La stratégie argumentaire tourne autour de trois motifs. Primo, que les lois sont discriminatoires envers les femmes. Secundo, qu’elles sont discriminatoires envers le statut professionnel. Enfin, qu’elles briment le droit d’association.

Entre-temps, la CSN discute avec d’autres centrales syndicales, la CSQ et la CSD. Au printemps 2004, on décide de joindre toutes les requêtes.

S’amorcent ensuite les interminables interrogatoires des témoins. Un an d’interrogations, d’objections, de requestionnements. On interroge de part et d’autre des experts en rémunération, en relations industrielles, on produit des études socio-économiques…

Puis vient la période des admissions. Ainsi, lorsque le procès commence en septembre 2007, le tiers de la preuve a déjà été admis. Mais le boulot est loin d’être terminé pour autant, car le procès s’échelonnera jusqu’en janvier 2008.

«Je travaillais 70 heures par semaine, c’était complètement fou!» dit Mario Evangéliste. Tous les midis, il faisait le point avec sa collègue, Me Francine Lamy, qui représentait la CSQ. Le soir, ils se revoyaient pour se partager les tâches du lendemain.

Une chose était claire cependant: qu’ils perdent ou qu’ils gagnent, les syndicats étaient prêts à aller jusqu’en Cour suprême. «Dès le début, on s’était dit qu’on irait jusqu’au bout, car c’était un dossier de principe.» En revanche, explique l’avocat, on savait que si on gagnait sur le point de la discrimination faite aux femmes, il serait bien difficile pour le gouvernement d’interjeter appel.

C’est exactement ce qui arrivé…