Syndicat des RSG de la Montérégie CSN-FSSS

Le Québec avant les CPE

Un groupe d'enfants assis devant la télévision sous la supervision d'une éducatrice.

Avant les années 70, les garderies étaient très peu encadrées au Québec.

PHOTO : RADIO-CANADA

Radio-Canada

Publié le 21 janvier 2020

Centres de la petite enfance (CPE), garderies à tarif réduit ou encore non subventionnées, les politiques familiales varient selon les gouvernements en place. Nos archives montrent comment les services de garde sont devenus un enjeu collectif au Québec.

Dans les années 1950 et 1960, seules des garderies non subventionnées et à peine réglementées ouvrent au Québec. Les mères au travail doivent souvent recourir à l’aide d’une parente ou d’une voisine pour faire garder leurs enfants.

Avec la Révolution tranquille, un plus grand nombre de femmes se retrouvent sur le marché du travail. Elles revendiquent alors des garderies publiques et gratuites.

Mère au foyer ou mère au travail?

Deux millions de femmes, 20 janvier 1966

L’émission Deux millions de femmes du 20 janvier 1966 se consacre à l’enjeu du travail des mères de famille.

Dans cet extrait, l’animatrice Jeanne Sauvé aborde la question des services de garde.

Quelles mesures pourraient être adoptées pour soutenir la famille dont la mère travaille et alléger les tâches domestiques de la maîtresse de la maison?

L’animatrice Jeanne Sauvé

Il existe à l’époque une centaine de garderies privées dans la région de Montréal. Elles doivent obtenir un permis de la Ville, qui les inspecte suivant des normes d’hygiène et de sécurité, mais elles ne reçoivent aucun autre encadrement.

Aux garderies privées s’ajoutent au Québec une douzaine de services de garde de type institutionnel financés par des œuvres de charité et, dans de rares cas, par une aide gouvernementale.

« La demande est bien grande », confirme à la journaliste Paule Sainte-Marie une dame qui tient une garderie privée à Montréal. Ne se voyant pas accueillir plus d’enfants, elle doit refuser au moins quatre requêtes par jour.

Elle souhaiterait que les garderies soient davantage soutenues financièrement, ce qui lui permettrait d’engager du personnel.

« Beaucoup de gens soutiennent que la réponse à la garde des enfants, c’est qu’on ne les fasse pas garder », souligne cependant l’animatrice Jeanne Sauvé. Pour ceux-ci, les garderies publiques ou privées ne font que contribuer à encourager la mère à tourner le dos à ses obligations familiales.

Un père de famille interrogé par la journaliste Paule Sainte-Marie exprime une opinion divergente.

Je serais favorable à des garderies d’enfants parce qu’on a dit que le travail féminin était inévitable, qu’on ne pouvait pas plus l’arrêter, affirme-t-il.

Une option qu’il préfère à celle de faire appel à des gardiennes « qui ne font partie d’aucune organisation et qui s’improvisent du jour au lendemain comme éducatrices d’enfants ».

Entre revendications et réflexions

En 1967, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, mieux connue sous le nom de commission Bird, réclame la création d’un réseau de garderies publiques.

C’est dans cette mouvance que l’émission Femme d’aujourd’hui du 13 mai 1968 s’intéresse à la situation des services de garde au Québec.

Femme d’aujourd’hui, 13 mai 1968

Il ne s’agit plus de bien soigner ses enfants ni de les faire garder, mais de les préparer à absorber des connaissances.

L’animatrice Aline Desjardins

Pour discuter de l’état des choses dans la région métropolitaine, l’animatrice Aline Desjardins réunit dans une table ronde sœur Pauline, directrice d’une garderie de dépannage, Yvonne Raymond, travailleuse sociale, et Diane Bernier, chef du service de recherche de la Montreal Social Agency.

Elles dressent le portrait des services de garde disponibles dans la région de Montréal et en exposent les écueils, notamment pour les nourrissons.

Je ne crois pas que du jour au lendemain on ait un réseau bien organisé, que le gouvernement vienne nous organiser. Je pense qu’il faut commencer soi-même à penser expérimenter dans de plus petites communautés, soutient Diane Bernier.

Il est très important de demander des lois, exprime pour sa part Yvonne Raymond. Ça devrait relever d’un ministère.

Toutes déplorent également qu’il n’existe aucune formation au Québec pour le personnel des services de garde.

De plus en plus, les garderies sont pourtant vues comme un outil pour socialiser les enfants, les préparer à l’école primaire et leur permettre de s’épanouir.

Vers une politique familiale au Québec

Entre 1971 et 1973, 70 garderies sans but lucratif sont créées dans tout le Québec grâce au soutien financier d’un programme du ministère fédéral de la Main-d’œuvre et de l’Immigration.

On les appelle les garderies populaires ou garderies « pop » et elles fonctionnent sous un mode coopératif.

Une enquête réalisée par le ministère provincial des Affaires sociales en 1973 révèle que le Québec compte alors 250 garderies, pour la plupart à but lucratif, offrant au total 8000 places.

Ce nombre s’avère nettement insuffisant, puisque 50 000 mères de jeunes enfants de moins de 6 ans occupent un emploi sur le marché du travail.

C’est dans ce contexte qu’en janvier 1974, la ministre d’État aux Affaires sociales Lise Bacon est chargée de trouver une solution au problème épineux des garderies.

 

Le 60, 21 mai 1974

Le plan Bacon devient la première politique en matière de service de garde au Québec.

Comme en témoigne cet extrait de l’émission Le 60 diffusée le 21 mai 1974, les réactions sont toutefois très vives dans le milieu des garderies populaires.

Les parents critiquent le plan Bacon, car ils y voient une nouvelle forme d’assistance sociale et non pas l’établissement d’un réseau public de services de garde.

Le plan Bacon renvoie aux parents la responsabilité du financement, sauf pour les familles à faible revenu pour lesquelles il accorde une aide, illustre ce reportage de Claude-Jean Devirieux.

Qu’il s’instaure au Québec un système de garderie universel pour tout le monde, subventionné par le gouvernement, demande une mère dont la garderie populaire est menacée de disparaître faute de financement. Ce n’est pas une forme d’aide sociale, c’est un besoin vital!

Je ne crois pas aux services gratuits, quels qu’ils soient. Je pense qu’il faut que les parents s’impliquent et qu’ils paient un peu de leur poche, exprime pour sa part la présidente de l’Association des garderies privées.

Le développement d’un réseau de garderies figure au programme électoral du Parti québécois en 1976 lorsque ce dernier prend le pouvoir.

Il faudra pourtant attendre trois ans avant que le ministre des Affaires sociales Denis Lazure adopte une politique de financement qui accorde pour la première fois des subventions directes aux garderies.

La Loi sur les services de garde à l’enfance conduit également à la création de l’Office des services de garde à l’enfance.

En 1988, le gouvernement libéral publie son Énoncé de politique sur les services de garde à l’enfance qui ouvre la voie à un système étatique de garderies.

La ministre Monique Gagnon-Tremblay est toutefois ralentie dans ses ambitions à la suite du retrait de ce projet du gouvernement fédéral.

Il faudra attendre 1997 pour que le Québec se distingue avec une politique familiale plus complète.

La naissance des centres de la petite enfance

Téléjournal, 23 janvier 1997

Le 23 janvier 1997, la ministre de l’Éducation Pauline Marois dévoile la nouvelle politique familiale du Québec.

Comme l’explique la journaliste Louise Beaudoin dans ce reportage au Téléjournal, la politique vise à assurer une meilleure conciliation travail-famille en offrant des services accrus à la petite enfance et en prolongeant les congés parentaux.

Le gouvernement péquiste implante un coût fixe de 5 $ par jour en garderie pour tous les enfants de 4 ans. Il prévoit d’étendre ce tarif à tous les jeunes d’âge préscolaire avant l’an 2000.

Par ailleurs, une loi instaure la maternelle obligatoire à plein temps pour les enfants de 5 ans.

La création de centres de la petite enfance, les CPE, constitue l’une des assises de la nouvelle politique familiale.

Gérés par un conseil d’administration auquel collaborent les parents, les CPE offrent un programme éducatif aux enfants qui les fréquentent, le même pour toute la province.

Intitulé « Jouer, c’est magique », ce programme repose sur le principe que l’enfant apprend par le jeu. Il se veut une résistance à la mode de la scolarisation précoce, très en vogue aux États-Unis et axée sur la performance.

Les propriétaires de garderies privées critiquent la nouvelle politique, qualifiée d’« étatisation déguisée », qui brime le libre choix des parents. Le gouvernement leur propose de se convertir en organismes à but non lucratif offrant des places à 5 $.

Un avenir ombrageux

L’application de la nouvelle politique ne se fait pas sans embûches.

Les garderies à 5 $ sont rapidement victimes de leur succès, ne suffisant pas à répondre à la demande croissante. Les listes d’attente s’allongent.

En 2003, la liste d’attente de l’ensemble des CPE du Québec compte quelque 85 000 noms, mais le gouvernement de Jean Charest met en veilleuse le développement du réseau des garderies.

Afin de réaliser des compressions budgétaires, le ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille stoppe tous les projets de centres de la petite enfance approuvés par l’ancien gouvernement péquiste. Les nouvelles places en services de garde seront créées dans des garderies privées, et non des CPE.

Le gouvernement libéral fait aussi passer le tarif des garderies de 5 à 7 $ durant son mandat. En parallèle, il bonifie le crédit d’impôt des familles qui fréquentent un service de garde non subventionné.

Jusqu’à aujourd’hui, le nombre de places disponibles en CPE ou en garderie subventionnée ne peut combler l’ensemble des familles québécoises, qui doivent pour certaines se tourner vers des garderies privées non subventionnées.

Ces dernières années, le tarif dans les CPE et les garderies privées subventionnées était modulé selon le revenu des parents.

Le gouvernement de François Legault souhaite à présent revenir à un tarif unique de 8,25 $ par jour pour les services de garde subventionnés.

Aucune mesure dans le plan caquiste n’est prévue pour les parents qui ne peuvent y accéder et qui doivent envoyer leurs enfants en garderie privée non subventionnée.

Bon nombre de parents jugent cette situation discriminatoire.

Une plainte a été déposée à la Commission des droits de la personne et des droits de la famille et une pétition circule réclamant le même tarif journalier pour tous les services de garde.